Histoire de ma BMW R75 Wh aux mains de son ancien propriétaire
40 jours d’aventures en afrique pour M. Girard de Langlade
Récits et photos tires de la revue *MOTOCYCLES* des 1 et 15 mai 1951
MÉDITERRANÉE, LE CAP EN SIDE-CAR
Nous avons eu le plaisir d’avoir en nos bureaux la visite du motocycliste Pierre de Langlade, le solitaire du rallye «Alger-Le Cap». Il a eu l’amabilité de nous raconter brièvement son long périple, dont voici un bref résumé :
Parti le 2 janvier de Langon, près Bordeaux, sur son side-car B.M.W. R.75, emportant avec lui deux bouteilles de sauternes qu’il devait offrir au premier ministre de l’Union Sud-Africaine, et un équipement approprié, à sa longue randonnée, il embarquait à Port-Vendes le 4, atteignait Alger le 5, où, après avoir été retardé par des difficultés administratives, il prenait le 8 janvier, à 2 heures de l’après-midi, la direction du Sud, les dernières voitures du rallye, avec lesquelles il devait faire équipe, avaient 3 jours d’avance sur lui. Elles avaient atteint El-Goléa quand il prit la route.
Traversant le Moyen Atlas, au milieu de la neige et du froid, il atteint Gardhaia; c’est à partir de cette oasis qu’il fit connaissance des premières pistes ensablées et rocailleuses du Sahara, où il lui fallut 3 heures pour parcourir 75 kilomètres. Au cours de cette étape, avant d’arriver à El-Goléa, alors qu’il venait d’éclater sur un énorme silex, il rencontra MM. Mercier et de Cortanze, revenant du Cap; éberlués tous les deux de se trouver tête à tête avec ce motard solitaire. Ils lui donnèrent quelques conseils pratiques et l’encouragèrent à persévérer alors que depuis Alger il n’avait rencontré, à part une ou deux personnes, que des sceptiques qui hochaient tristement la tête et doutaient fort de sa réussite,
EL-GOLÉA, IN SALAH
Avec la traversée du plateau du Tademaït, qui n’est pas à conseiller aux neurasthéniques, avec ses 200 km, de longueur, plat comme un billard et sur lequel les mirages succèdent aux mirages : oasis fictives et lacs artificiels, la solitude accablante, et la machine qui semble faire du sur place. in-Salah, la désirée: Porte du Hoggar; un jour de repos bien mérité chez les gars du génie militaire, et la piste du Sud à travers ce Hoggar, rendu célèbre par Benoît, Paysage lunaire, vision d’Apocalypse; la moto et son cavalier peinent sur la piste rocheuse et la tôle ondulée qui lui secouent tripes et boyaux. Malgré la fatigue, on le serait à moins, il persévère tout de même; halte à Arak, dont les gorges sinistres lui laissent un bien mauvais souvenir « au sens propre et figuré », il arrive à Tamanrasset n’ayant croisé, depuis In-Salah, qu’un camion de la S.A.A.T., deux Touareg aux mines patibulaires et trois perdrix…
TAMANRASSET; IN-GUEZZAN
L’autorité militaire ne veut le laisser partir qu’à la condition d’emmener un guide avec lui ; malgré la surcharge il accepte. Quelques jours auparavant, deux Anglais s’étaient égarés et l’un d’entre eux était devenu fou. Il prend la piste le matin à 5 heures; c’est un de ses plus mauvais souvenirs : l’enfer des sables mous, des ensablements répétés, pays de la soif, 435 kilomètres sans un point d’eau… Il arrive néanmoins, le soir, à In-Guezzan, où le chef de poste est tout surpris de le voir surgir. On lui avait annoncé, de Tarn, que probablement de Langlade n’arriverait que le lendemain après-midi, Il repartit le lendemain sur Agadès, laissant son guide Ali, encore tout meurtri de son baptême de motard, aux soins des militaires qui remontaient sur Tarn. C’est dans cette étape,. à 9 heures du soir, à 100 kilomètres d’Agadès, qu’il s’égara (il avait oublié sa boussole) et ne du qu’à son sang-froid et son esprit de décision de retrouver la piste qu’il chercha deux heures de temps, alors qu’un troupeau de zébus affolé par des guépards fonçait sur lui à grand galop. Il arrivait à Agadès à 1 h. 1/2 du matin, complètement épuisé. Le Sahara par le Hoggar était franchi pour la première fois par un homme seul en side-car, après avoir parcouru 2.986 kilomètres en huit jours, un véritable record, couchant sous la tente, dans les vieux forts désaffectés, avec les militaires des oasis, et dans les hôtels de la Satt.
AGADES, Zinder (AOF) KANO (Nigeria Britannique)
Après avoir pris un jour de repos à Agadès, il en repartit le 19, en direction de Zinder et Kano, trouvant de la végétation, des villages, des troupeaux (civilisés), des gazelles et antilopes, croisant des caravanes d’ânes et de chameaux. Mais à défaut de sable, pistes épouvantables, où les nids de poule étaient remplacés part des nids d’autruche; cours d’eau franchis à gué; déviation dans la brousse: cet état des pistes était imputable aux pluies torrentielles qui s’étaient abattues trois semaines auparavant et avaient annihilé le travail ingrat du génie militaire. Il traverse Zinder et arrive à Kano (Nigeria britannique) le samedi 20 au soir. Il a enfin la satisfaction de retrouver les concurrents du rallye qui le considèrent à juste titre comme un phénomène. Accueil inoubliable des colons, tant Français qu’étrangers, qui le reçoivent et l’hébergent tout au long de son parcours: MM. Mac Maurette à Zinder, Duchêne, Du Pasquier à Fort-Lamy (A.E.F.) où il prit deux jours de repos, Roy à Bambari, Demontoux à Bangassou ; M. Tulpln à Buta (Congo Belge). Malgré la chaleur, les crevaisons, la poussière, 15 bacs à franchir, la forêt équatoriale, ses orages et ses pluies diluviennes, la population noire effrayée par les pétarades de sa moto et qui fuit à son approche, croyant peut-être qu’il était fils du Tonnerre, où d’autres par contre qui l’entourent avec curiosité. La rencontre de deux lions avant Bai-Li, qui lui donnent la très nette impression que sa taille s’est rétrécie et la sensation du néant. Il arrive enfin à Stanleyville le 30 janvier, à bout de souffle, jambes ankylosées, bras coupés. Depuis Alger, 6.765 kilomètres ont été parcourus en 22 jours, pas même la moitié du parcours !, Il prends deux jours de repos bien mérités, durant lesquels il remet physique et matériel en état. Et c’est à nouveau le départ.
STANLEYVILLE, NIA-NIA, BENI.
Route pittoresque dans la forêt où le soleil n’arrive pas même à percer la végétation intense; pays des Pygmées, et aussi étape au cours de laquelle de Langlade crut qu’il n’arriverait jamais au Cap; en effet, pour éviter un camion arrêté dans un tournant et dans une descente, sur une piste de 3 mètres de largeur, il préféra les décors aux fers du châssis. Side-car retourné, le chauffeur noir du camion et sa suite, effrayés par cette apparition qui prennent la fuite, le laissant seul, sous son side en équilibre instable, qu’il redressa d un coup de reins; désespoir de notre ami qui heureusement sain et sauf, pleure, n’espérant plus en rien, Laissant tout son matériel à l’abandon, il fit 11 kilomètres à pied pour aller chercher du secours au village le plus proche (Monbasa), au milieu d’un orage épouvantable et d’une végétation hostile. L’administrateur du lieu qui le reçut, mit à sa disposition un camion ainsi que 10 hommes, persuadé que sa fidèle machine était inservable; mais, miracle, au premier coup de kick elle repartait, le cadre seul était faussé; elle tirait a gauche ; il la coucha de quelques centimètres sur le side. Ironie du sort, son klaxon et son éclairage, qui ne marchaient plus depuis Fort-Lamy, fonctionnaient à nouveau. Après une nuit pleine de cauchemars, mal en point lui-même et tout courbaturé, il repartit le lendemain, laissant derrière lui le Congo belge et ses mauvais souvenirs.
OUGANDA, KENYA, TANGANIKA
Franchissant la frontière du Congo à Kasindi, il se dirigea sur l’Ouganda britannique (Fort-Portal); c’est après avoir traversé cette frontière qu’il se trouva nez à nez avec un troupeau de 18 éléphants et de 3 éléphanteaux, souvenir aussi pénible que sa rencontre avec les lions, car il fit demi-tour et attendit grimpé sur un escarpement que le troupeau fût éloigné. Le passage de l’Equateur; il y manquait la glace et le Champagne; Kampala, royaume de l’Aga Khan; les sources du Nil; Kisumu, au bord du lac Victoria; les étapes se suivent sans repos.
KILUMU, NAIROBI.
Pistes toujours aussi mauvaises; la fameuse route impériale du Caire au Cap : quelle désillusion Notre motard arrive
dans la capitale du Kenya le 8 février, ayant traversé les énormes travaux du « Plan Cacahuète », pour la mise en culture d’immenses territoires qui doivent fournir à l’Angleterre sa consommation d’huile arachide.
NAIROBI, ARUSHA, DODOMA (Tanganika)
1.000 kilomètres à travers les plus grandes réserves d’animaux du monde, au milieu de marécages et d’escarpements rocailleux; il croise des centaines de zèbres, d’antilopes de toutes races,d’autruches, de girafes et de buffles; mauvais souvenir que ces buffles! Voulant prendre un cliché de ces paisibles girafes, c’est un buffle solitaire qui le charge; tant pis pour l’immortalité des girafes !!!… Heureusement que sa B.M.W., toujours nerveuse, répond au coup d’accélérateur ! Une fois de plus, il a eu chaud !!!
RHODESIE DU NORD, RHODESIE DU SUD
Laissant le Tanganika derrière lui, il franchit la frontière de la Rhodésie du Nord à Tunduma; le calvaire de Langlade, en pleine saison des pluies, où les pistes se transforment en bourbiers, entre Inbeya et Inpeka; il est obligé de s’arrêter une dizaine de fois sur 500 kilomètres, pour dégager ses cylindres sur lesquels la boue forme une croûte de plusieurs centimètres; elle s’infiltre aussi le long de ses câbles de gaz, dans ses carburateurs et bloque ses boisseaux; le nettoyage .de ces derniers se fait sous la pluie et dans un bain de boue; tout crotté, trempé jusqu’aux os, après une halte à Inpeka, découragé, il arrive à Brocken-Hill où il achète une paire de bottes, les siennes étant devenues inutilisables; ironie encore, il ne pleuvra plus jusqu’au Cap!
RHODESIE DU SUD (Victoria-Fall).
Regroupement du rallye où il arrive en même temps que les jeeps militaires qui avaient fait la route avec lui depuis Stanleyville; juste le temps de se raser, de jeter un coup d’œil sur les magnifiques chutes du Zambèze, aussi hautes que celles du Niagara, et il repart vers le Sud; il n’oubliera pas de sitôt l’accueil des sportifs de Bulawayo, où il arrive à 7 heures du soir; étonnés de voir un Français s’aventurer seul en moto, ils l’enlèvent de son siège, le mitraillent de photos, l’emmènent boire, le gorgent de sandwichs, thé, chocolat, lui demandent des autographes; repu à souhait, il repart deux heures après, escorté pendant plusieurs kilomètres par une trentaine de motards.
UNION SUD-AFRICAINE.
Les pistes sont devenues de splendides routes asphaltées où il fait bon rouler; il arrive à Johannesburg, fêté par la colonie française et le consul de France, qui offre au rallye un banquet de bienvenue avant le départ; et il continue à petite allure, traverse le Transvaal, ses ranchos où d’immenses troupeaux paîssent en liberté, et c’est ‘arrivée tant désirée à Capetown, ce vendredi 23 février. Apothéose d’une grande randonnée où l’attendaient réceptions, dîners, discours, excursions. La remise au premier ministre de l’Union Sud-Africaine, le docteur Malan, des deux bouteilles de Sauternes qui avaient résisté à tous les chocs et à toutes les incommodités du voyage.
Retour en France par bateau dont e tangage lui fit presque regretter les pistes du Sud. Accueil enthousiaste de la population bordelaise et de celle de Langon, son pays d’origine, qui montrèrent par leur réception, leur fierté de compter à nouveau parmi eux le voyageur qui leur apportait avec de magnifiques souvenirs, un peu de sa gloire,
Pierre GIRARD.
Renseignements techniques
Après avoir rendu hommage à la résistance et au cran du conducteur, il est juste de ne pas oublier la part qu’a pris la mécanique dans cette aventure sans faille Alger-Le Cap (14.650 km. en 44 jours), La tenue de route et la résistance aux intempéries (chaleur, pluie, orage et boue) furent en tous points remarquables. Malgré son accident, il n’eut pas un ennui mécanique et ne changea pas même une bougie. Equipé du carburateur Amal, il avait adapté des gicleurs de 160, une consommation d’essence supérieure à la normale ne nuisant jamais au moteur.
La maison Kléber Colombes lui avait procuré les pneumatiques (4,75×16) qui se révélèrent excellents malgré la surcharge du side-car et l’obligation dans les mauvaises routes et la chaleur de réduire la pression normale de 400 grammes.
M. Pierre Lamy, spécialiste parisien des motos allemandes et particulièrement de la BMW. R.75, lui avait parfaitement mis au point sa moto avant le départ.
Concernant les HKP soit les garages réquisitionnés pendant la guerre par les troupes d’occupation allemande pour procéder à des réparations sur leurs motos militaires et civiles réquisitionnées, un des principaux HKP français et parisien fut d’abord installé rue Pierret à Neuilly, ensuite il fut transféré au 58 avenue Mozart, Paris 16ème. C’était un garage d’autobus qui appartenait à la Société des autobus parisiens. M. Michel de Thomasson s’en souvient encore très bien car il a eu l’occasion de le visiter. Cet immeuble a été démoli dans les années 1960 et maintenant à sa place il y a un nouveau building. Cet endroit était un « HKP » c’est à dire un « Heeres Kraftfahrzeuge Park » selon l’appellation officielle de la Wehrmacht. M. Michel de Thomasson connaissait un certain nombre d’ouvriers français qui y travaillaient au titre du « STO » (Service de Travail Obligatoire pour les Français réquisitionnés pendant la guerre par les autorités allemandes.) et que M. Michel de Thomasson a ensuite embauchés pour travailler après la guerre sur les « BMW françaises ».CMR et ensuite Ratier.
De Langlade voulu la vendre (Moto Revue 26 janvier 1952) admirez le prix demandé….
De Langlade fauchant avec la R75….. .
photo venant de l’agence BMW LAMY à Paris